« Gestion des flux, utopie ou réalité ? » Retour sur la table ronde des Rencontres du Tourisme en Bretagne

1887 Vues(s) 11 mai 2022

Les Rencontres du Tourisme de Bretagne ont été un temps fort pour les acteurs du tourisme de l’Ouest. De nombreuses thématiques ont été abordées lors de ces deux jours pour tenter de répondre à une question essentielle : comment le tourisme peut-il s’inscrire comme levier de développement et de performance socio-économique pour ses territoires en tenant compte du nécessaire équilibre entre croissance, environnement et solidarité ? 

 

Nous avons participé activement à ses réflexions, notamment lors d’une table ronde sur la gestion des flux, animée par Évelyne Maître et lors de laquelle Nicolas de Dianous est intervenu. Avec Jessica Viscart (responsable Pôle Observatoire et Développement du CRT Bretagne ), Giulia David (chargée de projets européens AViTeM) et Erven Léon (vice-président Rivages de France), ils ont échangé et partagé leurs expériences autour de la gestion des flux.

 

 

 

Avant-propos  

 

Du tourisme à la gestion des flux

 

« Qu’est-ce que le tourisme, sinon un mouvement ? » c’est ainsi qu’Évelyne Maître démarre cette table ronde. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il s’agit bien d’un déplacement de population vers une destination, un site ou encore un lieu. « L’un des objectifs du tourisme, c’est d’augmenter la fréquentation » poursuit-elle.  Et c’est bien cela qui peut conduire à l’hyper fréquentation et donc à une problématique de gestion des flux. Le sujet est lancé. 



Les touristes, seuls responsables de la fréquentation ? 

 

Il faut d’abord clarifier ce qu’inclut la fréquentation : elle comprend bien sûr les touristes, mais pas seulement. Les excursionnistes ainsi que les habitants participent à la fréquentation d’une destination, d’un lieu ou d’un site, comme l’explique Jessica Viscart, graphique à l’appui : 

 

 

Réalisé dans le cadre d’une étude sur le tourisme demandée par la région Bretagne, ce graphique démontre que la part des touristes dans cette fréquentation est moindre. On s’aperçoit également que le pic de touristes est concentré sur une courte période, pendant les mois d’été.



Et les comportements dans tout ça ? 

 

« Quand on parle de comportements, on parle de choix et contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart des choix sont irrationnels » explique Giulia David. D’ailleurs, « lorsque l’on visite un site naturel, le principe est bien de s’échapper du quotidien, ce qui favorise encore plus l’irrationnalité » précise Erven Léon. 

 

 

L’hyperfréquentation, une illusion ?

 

Utopie …

 

Revenons sur le bel exemple de la Bretagne : « qui n’a pas entendu dernièrement que cette région à la cote et qu’elle est envahie par les touristes ? » interroge la responsable du Pôle Observatoire et Développement du CRT Bretagne. « Si l’on regarde les chiffres, il s’avère que la fréquentation touristique de la Bretagne reste stable ces vingt dernières années » :

 

 

Tout ne serait donc qu’une histoire de perception, créée notamment par la surmédiatisation ? Une surmédiatisation qui donnerait d’ailleurs un goût amer à cette fréquentation touristique, en mettant en avant les possibles dérives du tourisme (nuisances sonores, qualité de vie, … ). « Une sorte de miroir déformant qui pose des problèmes là où il n’y en a pas forcément » explique Nicolas de Dianous.



… ou réalité ?

 

Aucun des experts autour de la table nie l’existence du sujet. Certains sites sont réellement fragilisés, que ce soit par le fait de comportements déviants de touristes mais aussi de résidents,  ou encore d’influenceurs indélicats. Cette problématique  est donc bien présente mais uniquement pour des sites ou destinations « totems », à certains moments de l’année, voire même de la journée. 

 

Pour bien comprendre, Nicolas de Dianous nous cite quelques exemples d’endroits concernés : 

  • Le Mont Saint Michel : un lieu restreint qui attire une multitude de touristes en pleine saison  
  • Malte, une île très sollicitée en été mais pour laquelle Visit Malta travaille activement pour remplir les ailes de saison. 
  • Les stations de ski sont elles complètes seulement quelques semaines dans l’année et souhaitent attirer en dehors de l’hiver. 

 

Erven Léon cite même deux exemples extrêmes, pour lesquels la gestion des flux est essentielle et même vitale : les calanques de Marseille et Porquerolles. Dans ces deux cas, c’est tout l’écosystème de ces sites naturels qui était menacé par l’hyper fréquentation. Des mesures drastiques comme la régulation du nombre de visiteurs ont dû être mises en place. Mais cela reste un cas exceptionnel : « les Calanques restent aujourd’hui le seul exemple de démarketing en France » précise-t-il. 

 

Il n’y aurait donc « pas de généralisation du sur tourisme, mais plutôt un tourisme mal géré », comme l’affirme Paul Arseneault (Titulaire de la Chaire de tourisme Transat et directeur du Réseau de veille en tourisme ).

 

 

Comment mieux gérer le tourisme ?

 

La bonne nouvelle, c’est qu’il y a des solutions, annoncent les experts.  De nombreuses pistes ont été explorées, et certaines ont déjà fait leurs preuves. 

 

Disperser plutôt que limiter 

 

Suite au constat ci-dessus que l’hyper fréquentation est principalement l’affaire de quelques semaines, voire de quelques jours et parfois même de quelques heures, Il faut « favoriser la dispersion du tourisme, avant de devoir en arriver à la limitation, beaucoup plus sévère bien que parfois inévitable » explique le vice-président de Rivages de France (sauf en cas extrême bien sûr, cf notre exemple des calanques). 

 

« C’est un fait : il y aura toujours plus de touristes en août qu’en mars », précise Jessica Viscart : « certaines entreprises ferment en été  tout en imposant les congés de leurs employés et les vacances scolaires, malgré quelques adaptations, ne seront pas décalées ». Alors, comment faire ?  



Analyser les comportements 

 

On l’a évoqué précédemment, les comportements sont parfois irrationnels. Cependant, « cette irrationalité est prévisible » nous explique Giulia  David (pour un petit cours approfondi sur le fonctionnement de notre cerveau, n’hésitez pas à visionner le replay). Pour comprendre ces comportements, les données sont un atout puissant. Le programme HERIT-DATA en est la parfaite illustration : il consiste à récupérer les chiffres clés de sites touristiques européens pilotes, comme le Pont du Gard en France, grâce notamment à un outil de comptage. En comprenant mieux les comportements des visiteurs grâce à ces données, on peut jouer sur les leviers comportementaux et notamment les biais cognitifs pour influencer les actions des visiteurs. Comment ? en encourageant les itinéraires alternatifs par exemple. Sachant que « lorsqu’on visite un endroit, on est en dehors de notre zone de confort et on est plus à même d’être influencé par l’environnement » ajoute l’experte. 

 

Adapter le discours 

 

Il est également possible et fortement conseillé par les quatre experts d’adapter les discours en fonction des différentes audiences. Pour les faire passer, il faut s’appuyer en amont sur les professionnels du territoire. « Un touriste qui vient 7 jours pour voir les totems, il ira les voir quoiqu’il advienne » précise Jessica Viscart. « Mais nous pouvons lui proposer d’y aller plutôt le soir pour le coucher du soleil en lui promettant un beau spectacle, avec moins de foule. Pour l’excursionniste, proche du lieu, incitons-le à ne pas venir entre le 1er et le 15 août. Enfin, ouvrons l’esprit du résident en lui proposant un site à côté tout aussi beau et moins bondé ». 



S’appuyer sur la com digitale et les influenceurs 

 

La communication digitale est « un levier imparable pour diffuser ces messages » précise Nicolas de Dianous.  Les campagnes média, et particulièrement celles sponsorisées pour mieux cibler les audiences, « vont permettre de jouer sur les flux en mettant en avant non pas les fondamentaux de la destination mais ses pépites ». C’est le cas de cette campagne de La Flandre par les Flamands qui permet de dire « la Flandre c’est aussi ça » :

 

 

« Quand on se pose la question de ce que l’on va faire le WE, par défaut, on pense aux grands sites » explique Nicolas de Dianous. « Grâce aux stories par exemple, on peut valoriser un calendrier de proximité et proposer d’autres activités sur un week-end ou pour des vacances, quasiment en temps réel ». 

 

Le marketing d’influence peut également être un relais puissant : Bruno Maltor, célèbre influenceur dans le monde du tourisme, est adepte des couchers et levers de soleil. Il incite sa nombreuse communauté à se rendre sur les sites touristiques en dehors des heures d’affluence pour profiter des plus beaux moments.





Proposer une offre adaptée 

 

La création d’événements pour faire venir en dehors des pics de fréquentation fonctionne : Les Folles Journées de Nantes en sont le parfait exemple. En revanche, avant d’inciter les touristes à venir en dehors des périodes d’affluence, il faut s’assurer que l’offre est bien présente. « Il n’y a rien de plus déceptif que de visiter une destination lorsque rien n‘est ouvert » affirme Erven Léon. Cela produit même l’effet inverse à celui escompté : la volonté de revenir lorsque tout sera ouvert, c’est-à-dire en pleine saison. La limite de cette proposition étant l’équilibre économique de la destination : « toute la difficulté consiste à conjuguer l’attractivité de l’économie touristique et le tourisme durable » précise-t-il. 



Apporter une réponse territoriale 

 

Quoiqu’il en soit, tous nos experts s’accordent sur le fait que la réponse à la problématique de la gestion des flux doit être territoriale. Un site ne pourra pas gérer seul sa fréquentation. Les flux doivent être redirigés vers d’autres lieux. Il ne faut surtout pas opposer les totems et les pépites. 



Pour en savoir plus, n’hésitez pas à regarder le replay, disponible juste ici ou à nous contacter directement pour en discuter.